Dans le lab

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À la recherche de nouvelles pistes thérapeutiques et diagnostiques des maladies du foie gras

La stéatose hépatique touche plus de 25% de la population mondiale et ce chiffre est en constante augmentation. Dans certains cas, des complications graves peuvent survenir, telles qu’une cirrhose ou un hépatocarcinome. Quelles sont les futures pistes sur lesquelles les chercheurs se penchent ? Réponses du Prof. Michelangelo Foti et de la Dre Monika Gjorgjieva du laboratoire « Obésité, syndrome métabolique et cancer » du Département de physiologie cellulaire et métabolisme de l’Université de Genève (UNIGE).

La stéatose hépatique et ses complications se développent silencieusement et peuvent rester asymptomatiques pendant des années. Des biomarqueurs spécifiques pouvant discriminer entre les différents types d’hépatopathies et leur stade font défaut et la maladie est souvent détectée à un stade avancé. « Mieux on comprendra les mécanismes de la pathogénèse et les molécules impliquées, plus on aura de chance de trouver de réelles cibles diagnostiques ou thérapeutiques, » explique Michelangelo Foti. Son équipe étudie les mécanismes qui mènent au développement d’un foie gras et à la progression vers la carcinogenèse. Plusieurs molécules spécifiquement associées au développement de ces maladies ont ainsi été découvertes par le laboratoire, certaines présentant un potentiel clinique prometteur.

MicroARN : petits mais plein de potentiel

« Nous travaillons de plus en plus avec les microARNs, ces petits ARNs non codants qui présentent un immense potentiel thérapeutique, indique Monika Gjorgjieva, maître-assistante dans le laboratoire de Michelangelo Foti. En ce moment, nous étudions le miR-22, un microARN de seulement 20 nucléotides ». Les chercheurs ont démontré que le miR-22 protégeait contre le développement de la stéatose hépatique. « Nos expériences ont montré que la délétion du miR-22 chez des souris soumises à un régime riche en graisses entraînait une prise de masse grasse et une stéatose hépatique exacerbées en comparaison aux souris qui expriment le miR-22. »

Le miR-22 agit sur la régulation des métabolismes du glucose et des lipides. Lorsque ces mécanismes sont déréglés, on observe une augmentation de la synthèse des lipides et de la glycolyse. Les cellules cancéreuses, particulièrement gourmandes en énergie, en profite. Les chercheurs ont ainsi montré que, lorsque le miR-22 est supprimé chez la souris, les tumeurs se développent plus rapidement et sont plus nombreuses.

Ces résultats sont-ils néanmoins transposables à la clinique ? « On pourrait par exemple s’imaginer administrer un agoniste du miR-22 chez des patients stéatosiques afin de diminuer les risques de complications et peut-être aussi les protéger du cancer, explique Monika Gjorgjieva. Des études évaluant l’efficacité et la sécurité d’agonistes ou d’antagonistes de microARN sont déjà en cours pour d’autres maladies, telles que le lymphome, l’hépatite C ou la maladie de Crohn, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’arriver à une utilisation clinique. »

Les microARNs sont en effet considérés depuis quelques années comme des cibles thérapeutiques prometteuses pour plusieurs maladies. Leur avantage ? Un seul microARN a le potentiel de réguler des centaines de gènes. En manipulant leur expression, on peut ainsi agir sur de nombreux mécanismes pathologiques simultanément.

Une autre application clinique potentielle des microARNs est diagnostique. « Si on mesure seulement l’expression du miR-22 dans le foie, on ne saura pas si l’atteinte hépatique est sévère ou pas. Toutefois, si on analyse un panel de microARN sélectionnés, on pourrait peut-être obtenir une photographie précise de l’état d’avancement de la maladie d’un patient donné. ». Les microARNs peuvent également être détectés dans les fluides corporels comme le sang. De gros efforts sont actuellement entrepris pour déterminer des combinaisons de microARNs sanguins (signatures) avec un potentiel diagnostique ou pronostiques pour de nombreuses pathologies, y compris les maladies hépatiques.

« From bench to bedside » : de la souris à la clinique 

Mais quelles sont les étapes de découverte et de validation de ces cibles thérapeutiques ? « Nous recourons à une combinaison de techniques : in silico, in vitro, in vivo, mais aussi depuis peu, des expériences avec des organoïdes », précise Michelangelo Foti.

La première étape comprend généralement les méthodes in silico, c’est-à-dire l’analyse de bases de données. Celles-ci sont constituées par des chercheurs de tous horizons qui ont accès à des biopsies de foies, sains ou malades, humains ou animaux, et qui mettent à disposition ces données en libre accès. « Dans ces bases, nous allons rechercher des cibles qui sont sur- ou sous-exprimées dans la maladie concernée, continue Monika Gjorgjieva. Si une protéine est par exemple surexprimée dans un contexte pathologique, nous allons ensuite vérifier s’il y a une corrélation avec la sévérité de la maladie. Ces bases de données sont très précieuses pour la recherche. »

Une fois une cible prometteuse trouvée, les chercheurs vont la moduler in vitro en utilisant des cultures cellulaires. L’avantage des techniques in vitro est qu’elles sont simples à mettre en place et peu coûteuses. Cependant, elles ne reflètent pas toujours ce qui se passe dans un organisme vivant. C’est pourquoi les chercheurs recourent aussi largement à des expériences in vivo. Le facteur d’intérêt (protéine, microARN ou autre) est modulé chez la souris (en réalisant par exemple un knock-out du gène concerné) et une partie des animaux est ensuite soumise à un régime gras afin d’induire une stéatose. Par la suite, les chercheurs peuvent induire des tumeurs et étudier leur développement en présence ou non d’une stéatose.

Les résultats de ces expériences chez la souris ne reflètent toutefois pas toujours ce qui se passe dans un organisme humain. Pour pallier ce problème, le laboratoire a développé une nouvelle méthode. « Il y a 2 ans, nous avons mis au point des protocoles de recherche sur des organoïdes de foies humains, indique Michelangelo Foti. Ce modèle permet d’obtenir des résultats beaucoup plus pertinents pour la pathologie humaine ». Ces organoïdes sont générés à partir de cellules souches humaines et sont composés de 3 types cellulaires : des hépatocytes, des macrophages pour modéliser l’inflammation, et des cellules stellaires pour modéliser la fibrose, le tout organisé en 3 dimensions. Les organoïdes sont utilisés en combinaison avec les méthodes in vivo et in vitro mais pourront peut-être un jour les remplacer. En effet, le but est de pouvoir diminuer le recours aux animaux de laboratoire, mais aussi de continuer à développer le modèle afin de se rapprocher le plus possible d’un foie humain. Car la difficulté réside avant tout dans le transfert des résultats expérimentaux à la clinique.

Afin d’augmenter encore la pertinence clinique de leurs expériences, les membres du laboratoire participent régulièrement à des séminaires avec des médecins des Hôpitaux universitaires de Genève pour y présenter leurs résultats. « Les cliniciens apportent un autre point de vue sur nos recherches, c’est très enrichissant. Et ça nous permet aussi de découvrir ce qui se fait du côté de la clinique, » explique Monika Gjorgjieva. Certains projets de recherche sont aussi organisés en collaboration avec les cliniciens. « Nous travaillons par exemple à l’élaboration d’un protocole avec des chirurgiens afin d’évaluer le potentiel pronostic sur l’évolution du carcinome hépatocellulaire d’une des protéines étudiées au laboratoire », conclut Michelangelo Foti. Une collaboration essentielle entre chercheurs et cliniciens pour faire avancer la prise en charge de ces maladies complexes et mortelles.

Hépatopathies stéatosiques non alcoolique / Metabolic dysfunction–associated liver disease (MASLD)

Accumulation excessive de graisse (touchant au moins 5 % des hépatocytes) dans le parenchyme hépatique en l’absence d’une consommation significative d’alcool ou d’autres causes secondaires de stéatose.

  • Englobe divers stades de la maladie : de la simple stéatose hépatique à la stéatohépatite (MASH, Metabolic Dysfunction–Associated Steatohepatitis) avec inflammation et fibrose, à la cirrhose.
  • Les hépatopathies stéatosiques non alcoolique sont les pathologies hépatiques les plus souvent associées au diabète.

Stéatohépatite non alcoolique / Metabolic Dysfunction–Associated Steatohepatitis (MASH)

  • Stéatose hépatique associée à des lésions inflammatoires.
  • Cette dernière peut progresser vers une fibrose hépatique et des complications plus sévères, comme la cirrhose hépatique ou le carcinome hépatocellulaire (CHC)

Carcinome hépatocellulaire (CHC)

La stéatohépatite peut mener au développement d’un CHC, avec ou sans cirrhose. C’est la troisième cause de CHC dans le monde, derrière les hépatites virales et la consommation excessive d’alcool.

  

FIG 1 Du foie gras au cancer1

Différents stades d’évolution des hépatopathies stéatosiques non alcoolique. La direction des flèches indique si l’évolution est réversible ou non. Les pourcentages correspondent à la fraction de patients qui progressent au stade suivant.

1. Delangre E, Oppliger E, Berkcan S, Gjorgjieva M, Correia de Sousa M, Foti M. S100 Proteins in Fatty Liver Disease and Hepatocellular Carcinoma. Int J Mol Sci. 2022 Sep 20;23(19):11030. doi: 10.3390/ijms231911030. PMID: 36232334; PMCID: PMC9570375. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9570375/

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Pour aller plus loin :

Archives de la Revue Médicale Suisse

  1. Scheen, A., J. Effets des médicaments antidiabétiques sur la stéatopathie métabolique (MAFLD). Rev Med Suisse. 2023; 9 (838): 1498–1502. https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2023/revue-medicale-suisse-838/effets-d[…]icaments-antidiabetiques-sur-la-steatopathie-metabolique-mafld
  2. Nascè A, Memaj P, Jornayvaz FR. Stéatopathie non alcoolique (NAFLD) et diabète : le mauvais mariage. Rev Med Suisse. 2023 May 31;19(829):1090-1093. French. doi: 10.53738/REVMED.2023.19.829.1090. PMID: 37260205. https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2023/revue-medicale-suisse-829/steatopathie-non-alcoolique-nafld-et-diabete-le-mauvais-mariage  
  3. Ritz C. Stéatose hépatique non alcoolique : enfin un traitement possible ? Rev Med Suisse. 2022 Jun 29;18(788):1334. French. doi: 10.53738/REVMED.2022.18.788.1334. PMID: 35770438. https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2022/revue-medicale-suisse-788/steatose-hepatique-non-alcoolique-enfin-un-traitement-possible
  4. Spahr L. Si gras ou fibreux tu as le foie, voici ce que faire tu dois. Rev Med Suisse. 2020 Jan 29;16(679):214-215. French. PMID: 31995310. https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2020/revue-medicale-suisse-679/si-gras-ou-fibreux-tu-as-le-foie-voici-ce-que-faire-tu-dois
  5. Barigou M, Favre L, Fraga M, Artru F. Nouveautés dans la stéatose non alcoolique du foie (NAFLD). Rev Med Suisse. 2020 Mar 25;16(687):586-591. French. PMID: 32216182. https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2020/revue-medicale-suisse-687/nouveautes-dans-la-steatose-non-alcoolique-du-foie-nafld
  6. Thouvenin L, Friedlaender A. Nouveaux espoirs thérapeutiques dans le carcinome hépatocellulaire. Rev Med Suisse. 2020 May 27;16(695):1074-1078. French. PMID: 32462834. https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2020/revue-medicale-suisse-695/nouveaux-espoirs-therapeutiques-dans-le-carcinome-hepatocellulaire
  7. Goossens N, Koessler T, Spahr L, Negro F. Carcinome hépatocellulaire : nouvelles recommandations de prise en charge. Rev Med Suisse. 2018 Aug 29;14(616):1508-1511. French. PMID: 30156784.  https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2018/revue-medicale-suisse-616/carcinome-hepatocellulaire-nouvelles-recommandations-de-prise-en-charge

 Sélection de publications du laboratoire

  1. Gjorgjieva M, Sobolewski C, Dolicka D, Correia de Sousa M, Foti M. miRNAs and NAFLD: from pathophysiology to therapy. Gut. 2019 Nov;68(11):2065-2079. doi: 10.1136/gutjnl-2018-318146. Epub 2019 Jul 12. PMID: 31300518. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31300518/
  2. Gjorgjieva M, Ay AS, Correia de Sousa M, Delangre E, Dolicka D, Sobolewski C, Maeder C, Fournier M, Sempoux C, Foti M. MiR-22 Deficiency Fosters Hepatocellular Carcinoma Development in Fatty Liver. Cells. 2022 Sep 14;11(18):2860. doi: 10.3390/cells11182860. PMID: 36139435; PMCID: PMC9496902. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36139435/
  3. Gjorgjieva M, Sobolewski C, Ay AS, Abegg D, Correia de Sousa M, Portius D, Berthou F, Fournier M, Maeder C, Rantakari P, Zhang FP, Poutanen M, Picard D, Montet X, Nef S, Adibekian A, Foti M. Genetic Ablation of MiR-22 Fosters Diet-Induced Obesity and NAFLD Development. J Pers Med. 2020 Oct 14;10(4):170. doi: 10.3390/jpm10040170. PMID: 33066497; PMCID: PMC7711493. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33066497/  

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