Cohidon, C. (2022). ' – Concepts généraux autour de la mesure des risques sanitaires environnementaux' in Santé et environnement.

23 – Concepts généraux autour de la mesure des risques sanitaires environnementaux

Introduction

En 2016, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que 24 % des décès et 14 à 16 % de la charge morbide mondiale étaient attribuables à des facteurs environnementaux a , 1 . Les effets de santé rapportés sont multiples, des maladies infectieuses aux maladies non transmissibles (principalement cancers, maladies respiratoires et cardiopathies) en passant par les troubles de la reproduction et les effets sur la santé neuropsychique 1 - 3 . Le rapport précisait aussi qu’une partie seulement de ces estimations avait pu être obtenue à l’aide de méthodes fondées sur des preuves, les évaluations des autres expositions environnementales ayant été complétées par des avis d’experts. Cela illustre la difficulté de mesure des risques sanitaires environnementaux. En effet, la caractérisation et surtout la quantification de ces risques s’avèrent complexes, principalement du fait de la multiplicité des expositions, des difficultés liées à leur mesure, de niveaux de risque souvent faibles et de temps de latence longs 4 . Pour autant, les avancées scientifiques permettent sans cesse de faire reculer ces limites. Par ailleurs, l’approche pluridisciplinaire de mise dans ce domaine, impliquant des épidémiologistes, des biostatisticiens, des cliniciens, des toxicologues mais aussi des hygiénistes, biologistes, ingénieurs, voire enfin des sociologues, y contribue également.

Dans ce chapitre, deux approches classiques sont décrites, l’approche épidémiologique, qui permet, de caractériser, en les quantifiant, les liens entre pathologie(s) et exposition(s), et la démarche dite d’« évaluation des risques sanitaires » (ERS) qui consiste à estimer un risque environnemental populationnel. Le chapitre se termine en abordant le récent concept de l’exposome, qui fait évoluer ce domaine vers une nouvelle façon de penser et de caractériser ces risques environnementaux.

L’approche épidémiologique pour une estimation des risques sanitaires environnementaux

La première composante de l’épidémiologie, descriptive, permet de caractériser les fréquences des maladies (incidence et prévalence) et de générer des hypothèses sur l’existence de facteurs de risque. En épidémiologie environnementale, les variations spatiales et/ou temporelles de fréquences de maladies conduisent à proposer des hypothèses sur l’origine de ces variations. Sa seconde composante, étiologique, permet d’établir des associations entre des problèmes de santé et des facteurs d’exposition, qui, sous certaines conditions de design d’étude, peuvent être reconnues comme causales 5 , 6 . En épidémiologie environnementale, l’exposition est souvent caractérisée sur une base collective que l’on appelle aussi « écologique » (au sens sociologique du terme, par opposition à une exposition individuelle). On le comprend facilement lorsque l’on pense par exemple aux expositions chimiques atmosphériques. Par extension, cela a mené à la conduite d’études dites de corrélations écologiques (ou corrélations de groupe). Ces études recherchent des associations entre des prévalences ou des incidences de maladies dans une population et une exposition collective à certains facteurs. L’exemple le plus fameux est celui historique de Snow démontrant la transmission du choléra par le système de distribution d’eau londonien 7 . Malgré un regain d’intérêt en fin de xxe siècle, ces études restent contestées par certains de par l’existence de biais écologiques qui limitent les conclusions en termes de causalité 8 . Dans les études étiologiques individuelles, les données de santé sont mesurées individuellement (ainsi généralement que les facteurs de confusion) et étudiées en fonction d’expositions. Ces dernières peuvent être mesurées collectivement ou individuellement. Il s’agit d’études cas-témoins ou de cohorte générant un niveau de preuve variable sur le rôle causal de la variable exposition (les études de cohorte qui impliquent un suivi temporel des sujets étant les plus probantes) 5 .

Une autre mesure, la fraction attribuable, combinant la fréquence de la maladie et l’intensité de son association à une exposition (sous la condition ou l’hypothèse d’un lien de causalité), est particulièrement intéressante pour les politiques de santé publique car elle permet de quantifier la proportion des malades attribuable à une exposition spécifique (en d’autres termes, la proportion de cas qui pourraient être évités si cette exposition était absente) 1 . Ainsi, en 2015 en France, les fractions de cancers attribuables à la pollution atmosphérique, à l’exposition solaire, aux expositions professionnelles étaient estimées respectivement à 0,4, 3 et 3,4 % (contre 19,8 % pour le tabac et 8 % pour l’alcool par exemple) 9 .

Limites et perspectives de l’approche épidémiologique environnementale

Certaines limites inhérentes à l’épidémiologie peuvent apparaître comme fortes dans le domaine environnemental. Ainsi, l’exposition est souvent issue de multiples sources ou milieux (air, eau, sols) impliquant différentes voies de contamination pour l’individu (inhalation, ingestion directe ou indirecte via l’alimentation, pénétration cutanée). Le niveau des expositions considérées séparément selon leur milieu d’origine est souvent faible, nécessitant des techniques de mesure performantes. Enfin se pose la question de la cible et du moment de mesure du polluant, celle-ci pouvant se faire depuis son émission, à la source ou une fois dispersée dans les milieux, jusqu’à l’individu via des métabolites, sanguin, tissulaire ou urinaire 10 , 11 . Cependant, les progrès techniques réalisés au cours des dernières décennies, en particulier dans le champ de la chimie analytique à très haute résolution, permettent désormais de mieux caractériser les expositions et les mécanismes conduisant à la toxicité pour un organisme 12 , 14 . Pour ce qui concerne les effets, les pathologies sont souvent peu spécifiques d’une exposition, en dehors de quelques cas emblématiques tels que le mésothéliome pleural et l’exposition à l’amiante, et le temps de latence de survenue de la maladie est parfois important (dans le cas des cancers par exemple). La susceptibilité individuelle d’origine génétique peut compliquer l’établissement de liens épidémiologiques dans ce domaine 15 . La distinction de l’effet d’expositions conjointes (comme c’est souvent le cas) et la prise en compte de facteurs de confusion, voire d’interaction, sont à l’origine d’une inférence causale possiblement limitée, ce qui justifie aussi l’intérêt du recours aux méta-analyses 16 .

Face à ces difficultés et pour pallier l’aspect « boîte noire » de l’épidémiologie (pas d’étude des mécanismes d’action), les approches pluridisciplinaires intégratives se développent 17 . Il s’agit alors d’intégrer non seulement les preuves épidémiologiques « traditionnelles », mais aussi les preuves recueillies en ouvrant la « boîte noire » et en y intégrant les données de la biologie moléculaire, de la toxicologie, de la génotoxicologie et d’autres disciplines dans les évaluations de la causalité 17 - 19 . Les monographies du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), qui identifient les facteurs environnementaux constituant un danger cancérogène pour l’homme, mettent en œuvre ce principe et ont montré sa plus-value dans le cas des effets cancérigènes de l’exposition aux dioxines par exemple 20 .

La démarche d’évaluation des risques sanitaires pour une mesure populationnelle des risques

La démarche d’ERS répond à un objectif pratique et « rapide » d’identification et d’estimation de risques pour la santé de populations vivant des situations environnementales potentiellement dégradées, que ce soit dans un environnement « naturel » ou professionnel 21 . Elle est également utilisée, dans un objectif de prévention des risques, généralement dans un cadre réglementaire, que ce soit en santé-travail ou en santé-environnement 22 , 23 . Initialement développée aux États-Unis par l’Académie des sciences 24 , 25 , cette démarche est largement utilisée par les agences et institutions sanitaires au niveau international.

L’ERS se base sur l’ensemble des données disponibles pour caractériser un risque sanitaire populationnel, en particulier des données toxicologiques, issues de l’expérimentation animale, et épidémiologiques 21 , 23 . La démarche inclut quatre étapes.

L’identification des dangers recense l’ensemble des composants présents dans le ou les milieux suspectés d’être dégradés. Le potentiel dangereux des produits, les modes d’exposition (aigu, subchronique ou chronique) et les voies de contamination pour l’homme sont listés à partir de revues de la littérature et de sites internet spécialisés (Agency for Toxic Substances and Disease Registry [ATSDR], l’U.S. Environmental Protection Agency [US EPA] par exemple).

La caractérisation des dangers ou estimation de la relation dose-effet permet de caractériser les effets potentiels en relation avec la dose pour chacun des polluants, à partir des données disponibles toxicologiques et/ou épidémiologiques. L’étape aboutira au choix d’une valeur toxicologique de référence (VTR) pour chaque agent dangereux inclus dans l’étude. La VTR est une appellation générique regroupant tous les types d’indices toxicologiques qui permettent de caractériser une relation entre une dose et un effet (toxique à effet déterministe, c’est-à-dire avec seuil, correspondant généralement aux effets aigus et à certains effets chroniques non cancérigènes, non génotoxiques et non mutagènes), ou entre une dose et une probabilité d’effet (toxique à effet stochastique ou probabiliste, pour l’essentiel d’effets cancérigènes génotoxiques). Ces données seront fournies par des bases de données tenues par des institutions internationales (par exemple le Centre international de recherche sur le cancer [CIRC-IARC]) ou nationales.

La mesure de l’exposition cherche à estimer la fréquence et l’intensité de l’exposition aux différents produits dans la population considérée. Elle utilise, comme l’étape précédente, le plus souvent des données existantes, biologique, toxicologique, épidémiologiques mais aussi sociologiques (habitudes de vie). Progrès de la chimie analytique.

Enfin, l’estimation du risque calcule, à partir des résultats des étapes précédentes, le niveau de risque pour chacun des composés étudiés en fonction de leur type de toxicité, déterministe ou stochastique. La caractérisation du risque doit présenter une estimation du risque pour chaque circonstance d’exposition, mais aussi préciser clairement les hypothèses retenues à chaque étape du processus et les justifier.

Les limites inhérentes aux disciplines impliquées et aux données utilisées sont à l’origine de l’incertitude qui peut entourer la démarche d’ERS. Cependant, ce niveau d’incertitude est explicité en toute transparence, ce qui constitue un des intérêts de la démarche par rapport à un « simple » avis d’experts. Par ailleurs, la démarche, initialement appropriée par des chercheurs restreints en nombre et quant à leur discipline, a largement évolué vers une expertise collective pluridisciplinaire. Cette ouverture doit permettre une meilleure indépendance scientifique et une meilleure prise en compte des niveaux de preuve pour la gestion de l’incertitude. Enfin, l’intégration de gestionnaires de risque dans le processus rend la démarche plus cohérente du point de vue sociétale 26 , 27 . Ainsi, comme le soulignait déjà W. Dab dès le début de l’implantation de la démarche en France, plus l’incertitude est grande et plus le processus décisionnel doit être formalisé, consigné et débattu publiquement 28 .

Nouvelles perspectives

Plus récemment, le concept d’exposome est apparu, dans un premier temps en épidémiologie du cancer, puis plus généralement dans l’étude de la survenue des maladies chroniques. Il s’appuie sur la nécessité de prendre en compte simultanément l’ensemble des facteurs environnementaux auxquels les individus sont exposés, et ce durant toute leur vie, afin de comprendre leur rôle dans le développement de maladies chroniques (comme complément des facteurs génétiques) 29 - 31 . Conceptuellement attractive, cette approche soulève encore d’importants défis en termes d’applicabilité. Elle implique la nécessité d’un recueil concomitant de données d’expositions multiples (en termes de composants et de modes d’expositions) et sur un très long terme. Par ailleurs, les méthodes statistiques d’analyse de ces données ne sont pas encore clairement identifiées 31 , 32 .

Néanmoins, plusieurs études internationales relèvent actuellement ces défis. Ainsi, l’étude européenne HELIX (Human Early LIfe eXposome), combinant les données de six cohortes mises en place en péri-natalité et déjà constituées en Europe, a pour objectif d’estimer les expositions préet postnatales à un ensemble de facteurs environnementaux (organismes chimiques persistants et non persistants, les métaux, les pesticides, la fumée de cigarette, les contaminants de l’eau, les polluants de l’air, le bruit, les radiations UV, et l’utilisation des espaces verts), et d’étudier leurs liens avec certains problèmes de santé 33 . Des premiers résultats sont encourageants quant à des effets potentiels sur la fonction respiratoire et les troubles comportementaux durant l’enfance 34 , 35 .

Comme autres exemples, on peut citer le projet européen EXPOsOMICS qui se concentre sur les contaminants de l’air et de l’eau pendant les périodes critiques de la vie 36 , ou le projet FLEXiGUT qui étudie l’impact de l’exposition environnementale au cours de la vie sur l’inflammation intestinale et les maladies qui y sont liées 37 .

Pour une présentation plus approfondie de la démarche, nous renvoyons le lecteur au chapitre 30, largement dédié à l’approche exposomique.

Conclusion

Les risques environnementaux sont la plupart du temps de niveaux faibles, voire très faibles. Néanmoins, la proportion de personnes potentiellement concernées peut être considérable, ce qui en fait un problème de santé publique. Malgré les difficultés soulignées dans ce chapitre, l’évolution des disciplines et des démarches scientifiques impliquées permettent de caractériser de plus en plus finement ces risques. Le potentiel d’amélioration des connaissances et des méthodes pour les produire reste élevé et nécessite une mise en commun des savoirs issus de multiples disciplines.

La santé environnementale est en grande partie à l’origine du développement de l’épidémiologie et de la santé publique (hygiénisme au xixe siècle). Il est dommage que les progrès scientifiques et techniques du xxe siècle aient fait évoluer les questions de santé publique vers une prédominance du soin individuel curatif au détriment de la lutte contre les déterminants défavorables à la santé. En parallèle, des efforts importants ont permis de réduire les expositions professionnelles en particulier chimiques, dans les pays industrialisés au moins. Pour autant, l’allongement de la durée vie, l’augmentation des maladies chroniques évitables et le souci de réduction de la charge morbide, ont replacé cette thématique au centre des préoccupations de santé. Il s’agit certainement de l’un des enjeux sanitaires majeurs du xxie siècle.