Introduction
La pandémie de SARS-CoV-2 a confronté les professionnels de la santé à de nouveaux défis nécessitant une adaptation constante dans un contexte inédit. Une réflexion multidisciplinaire au sein du CHUV a abouti à la réalisation de différents protocoles de soins. Le spécialiste ORL est au centre de ces préoccupations, devant évaluer et assumer la sécurité du carrefour aérodigestif, participant directement à la réalisation de nombreuses trachéotomies et à leur sevrage. Les connaissances actuelles nous montrent que les séquelles de la sphère ORL sont nombreuses et qu’elles devront être suivies sur le long terme. Le Service ORL du CHUV a mis en place une Task Force permettant de centraliser le suivi des patients avec des séquelles du Covid-19. L’objectif de cet article est de présenter les principales atteintes ORL à court et à long termes, ainsi que la prise en charge proposée.
Prise en charge des atteintes orl aiguës
L’intubation orotrachéale est une procédure courante chez des patients atteints de formes sévères de SARS-CoV-2. Les séquelles laryngées en lien avec une intubation prolongée sont le plus souvent bénignes et réversibles telles que des granulomes inflammatoires, une immobilité laryngée et une sensibilité réduite.1,2 Les patients atteints de Covid-19 présentent des caractéristiques les rendant plus à risque de lésions laryngo-trachéales. Torretta et coll. avancent plusieurs facteurs expliquant cette vulnérabilité, tels qu’un temps de sevrage ventilatoire augmenté et l’utilisation de ventilation à haute pression.3 Dans notre pratique clinique, nous en identifions d’autres pouvant expliquer la survenue de lésions des voies aériennes supérieures : les réintubations itératives, la mobilisation du patient intubé, l’alimentation prolongée par sonde nasogastrique et l’utilisation de tubes d’intubation de grand calibre pour permettre la réalisation de bronchoscopies. La corrélation entre ces facteurs et les atteintes laryngées devra être analysée dans une étude dédiée.
Parmi les patients hospitalisés au CHUV pour une infection due au SARS-CoV-2, 49 ont bénéficié d’une trachéotomie. Une endoscopie pharyngolaryngée diagnostique est réalisée dans le même temps opératoire afin de documenter les lésions des voies aériennes supérieures. Un protocole de sevrage de trachéotomie a été distribué aux équipes soignantes, associé à des contrôles ORL rapprochés. Un suivi logopédique quotidien est prodigué aux patients avec trachéotomie, enseignant des exercices de réafférentation laryngée, une reprise progressive de la déglutition et de la phonation. Les patients qui n’ont pas eu de trachéotomie ont été également évalués dans l’Unité de phoniatrie et logopédie en cas de dysphonie ou de dysphagie. Selon notre registre interne, 24 patients ont bénéficié de rééducation logopédique au cours de la première vague infectieuse et 96 lors de la seconde.
Prise en charge des séquelles chroniques et stratégies rééducatives
Les séquelles ORL à long terme sont nombreuses et sont prises en charge en consultation ambulatoire selon une organisation établie au sein de la Task Force (figure 1).
Troubles de l’olfaction et du goût
Notre prise en charge des troubles de l’olfaction et du goût après infection due au SARS-CoV-2 est basée sur des consensus d’experts internationaux.4,5 La prévalence d’une perte de l’odorat est de 60 % chez les patients ayant présenté un Covid-19 ; la majorité d’entre eux récupère spontanément dans les 6 semaines. Pour les 10 à 15 % des individus rapportant des troubles de l’odorat chroniques, nous avons mis en place une consultation spécialisée. Lors de la première consultation, nous effectuons une endoscopie nasale et des tests psychophysiques (test olfactif d’identification, évaluation du seuil et de la discrimination) permettant d’avoir une mesure de base.4,5 La rééducation olfactive est le seul traitement actuellement recommandé dans la littérature pour l’anosmie post-SARS-CoV-2. Le protocole de rééducation olfactive réalisé au CHUV consiste à humer trois séries de quatre odeurs séquentiellement sur 12 semaines. Les quatre premières (citron, eucalyptus, rose, clou de girofle) sont respirées pendant 15 à 30 secondes, avec un intervalle de 30 secondes entre deux odeurs. Après 12 semaines, nous utilisons un nouveau set de quatre senteurs (menthol, thym, tangerine et jasmin) remplacé 12 semaines plus tard par un troisième set (thé vert, romarin, bergamote, gardénia).4 Une consultation de contrôle est effectuée entre 4 à 6 mois. Si moins de dix odeurs sur seize sont identifiées, nous effectuons un examen étendu avec évaluation du seuil et de la discrimination. Un bilan vitaminique est effectué en cas de trouble du goût persistant.4 Une imagerie par IRM est également considérée afin de déterminer le volume du bulbe olfactif et des régions cérébrales de l’olfaction. L’IRM est indispensable en cas de symptômes neurologiques associés ou de suspicion de tumeur nasale.
Les traitements médicamenteux pour l’anosmie post-Covid-19 ont un faible niveau d’évidence mais restent une option thérapeutique à discuter avec le patient.4 L’utilisation de corticostéroïdes systémiques et topiques peut être proposée à certains patients présentant des symptômes rhinologiques avec inflammation de la muqueuse nasale.4,5 Au CHUV, nous proposons un traitement de corticostéroïdes topiques en spray ou en gouttes : mométasone (Nasonex), fluticasone (Avamys, Flutinase polynex). Nous conseillons également l’application d’huile nasale de vitamine A (Coldistop) 2x/jour pendant 15 jours, bien que son efficacité soit encore débattue dans les groupes d’experts.4
Lésions des voies aériennes supérieures
Chez les patients infectés par le SARS-CoV-2, la durée de l’intubation orotrachéale est de 12 jours en moyenne avant la réalisation d’une trachéotomie. Cette dernière est maintenue en moyenne 30 jours.6 Parmi 20 patients avec des plaintes laryngées dans les suites de l’infection, une majorité (60 %) se plaignent d’une dysphonie, 35 % décrivent une dyspnée et 30 % une dysphagie.7 Les lésions laryngées sont principalement liées à l’intubation orotrachéale : immobilité cordale (40 %), sténose glottique postérieure (15 %), sténose sous-glottique (10 %), tissu de granulation ou œdème (10 %) et diastème glottique postérieur (10 %).7 Les lésions qui impactent les voies aériennes par leur taille, leur durée ou leur localisation (granulome de grande taille, immobilité cordale non compensée ou bilatérale) sont traitées chirurgicalement (figure 2). La prise en charge chirurgicale des lésions des voies aériennes supérieures ne concerne qu’une minorité de patients ; la majorité bénéficiera d’une prise en charge conservatrice alliant rééducation et traitements médicamenteux.
Troubles de la voix
La dysphonie est une plainte fréquente observée au fil de la pandémie de Covid-19,8 particulièrement parmi les patients qui ont bénéficié d’une trachéotomie.9 Elle peut être définie selon deux catégories : en lien avec une atteinte organique et fonctionnelle. Le bilan de la dysphonie se fait de manière standardisée, permettant une comparaison ultérieure. Il comprend un enregistrement de la voix, une évaluation perceptive et instrumentale ainsi qu’une autoévaluation du problème vocal à l’aide d’un questionnaire adapté (Voice Handicap Index). On réalise une laryngoscopie indirecte avec stroboscopie à but diagnostique chez tout patient qui garde une dysphonie après l’infection. Les atteintes organiques le plus souvent corrélées à la dysphonie dans notre registre de patients sont les granulomes et les paralysies laryngées. En cas de paralysie hémilaryngée avec dysphonie isolée, une prise en charge conservatrice par thérapie logopédique est proposée en premier lieu afin de compenser la fonction laryngée (figure 3). Si celle-ci est insuffisante, et en cas de troubles de la déglutition associés, une médialisation endoscopique de la corde vocale est réalisée avec un produit résorbable sous microlaryngoscopie en suspension. Les granulomes laryngés sont des lésions de la glotte postérieure, unilatérales ou bilatérales, dont l’origine est traumatique (postintubation ou malmenage vocal). Ils sont entretenus par le reflux gastro-œsophagien. Lorsqu’ils sont de petite taille, sans symptômes respiratoires, leur traitement est conservateur, comprenant une médication de plusieurs mois par inhibiteurs de la pompe à protons et une thérapie vocale avec suivi médical rapproché.
La dysphonie fonctionnelle est définie comme un trouble vocal sans lésion organique, lié à un mauvais usage vocal, avec une coordination incorrecte des organes mis en jeu pour produire la voix. La dysphonie hyperfonctionnelle est la plus fréquente, associée à un souffle expiratoire mal géré, des tensions intracordales et posturales compensatoires. Les séquelles respiratoires des patients après infection due au SARS-CoV-2 peuvent induire une mauvaise coordination entre la respiration et la voix, favorisant ainsi un malmenage vocal. Les douleurs chroniques et la neuropathie des soins jouent également un rôle dans la dysphonie fonctionnelle en altérant la posture du patient. Un suivi phoniatrique et logopédique est proposé dans la prise en charge afin de défaire les tensions mises en place et mieux contrôler le geste vocal.
Troubles de la déglutition
La déglutition physiologique se divise en quatre étapes qui s’enchaînent sans interruption, permettant le passage du bolus alimentaire de la bouche jusqu’à l’estomac tout en protégeant les voies aériennes. Dans le cadre des infections dues au SARS-CoV-2, la sarcopénie, un état buccal altéré, une désafférentation pharyngolaryngée après intubation ou trachéotomie sont les principales causes de dysphagie. Les troubles de la déglutition sont également liés aux atteintes neurologiques telles que la polyneuropathie, la myopathie, l’accident vasculaire cérébral, l’encéphalopathie et le syndrome de Guillain-Barré.10 Ils sont directement corrélés à la mortalité et à la durée de séjour des patients.11 Notre stratégie de prise en charge comprend une évaluation initiale intrahospitalière incluant un examen ORL complet, l’évaluation des difficultés lors d’essais alimentaires avec accompagnement logopédique ou sous contrôle médical avec fibroscopie. La première consultation permet d’évaluer la sévérité de la dysphagie et d’établir les axes de rééducation pour sécuriser l’alimentation orale. Des conseils écrits sont prodigués pour le domicile, particulièrement chez des patients avec troubles cognitifs. Une suite de prise en charge en ambulatoire peut être proposée en cas de dysphagie persistante et si l’évaluation médicale conclut à une possibilité de progrès.12
Conclusion
Le Service d’ORL du CHUV est directement concerné par la prise en charge des patients infectés par le SARS-CoV-2 dans la phase aiguë. Son implication sera tout aussi importante dans le suivi des séquelles à long terme. Les troubles olfactifs chroniques nécessitent un suivi clinique et une rééducation. La dysphonie et la dysphagie, qu’elles soient consécutives ou non à des lésions laryngées, nécessitent le plus souvent une prise en charge conservatrice. Une minorité de patients bénéficie d’une chirurgie en cas de lésions laryngées de grande taille avec des symptômes respiratoires.
Conflit d’intérêts :
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Implications pratiques
• Une évaluation ORL est recommandée en cas de troubles olfactifs, de dysphonie et de dysphagie persistant après une infection due au SARS-COV-2
• Les troubles olfactifs sont une atteinte fréquente après l’infection ; l’évaluation ORL permet d’exclure d’autres pathologies et de mettre en place le protocole de rééducation
• Les troubles de la voix et de la déglutition nécessitent le plus souvent une prise en charge rééducative par logopédie
• Les lésions des voies aériennes supérieures qui engendrent des symptômes respiratoires sont traitées chirurgicalement