Holguera, J., G., Nicolas, S. (2022). '– Cobénéfices et pratique de la mobilité active' in Santé et environnement.

32 – Cobénéfices et pratique de la mobilité active

Mobilité motorisée : impacts environnementaux et sur la santé

La mobilité est une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde. Selon l’Office fédéral de la statistique, en 2017, les transports en Suisse ont été responsables de l’émission de 14,7 millions de tonnes de CO2 (sans le trafic aérien international), ce qui correspondait à 40 % des émissions directes nationales 1 . De ces émissions, 73 % sont imputées aux voitures privées. En amont de l’utilisation, la production des véhicules et la construction des infrastructures routières nécessitent l’extraction de ressources non renouvelables, fragmentent les espaces naturels et contribuent également à l’émission de polluants atmosphériques et de GES 2 .

Dans un même temps, les impacts sur la santé de la mobilité motorisée sont multiples, notamment du fait de la pollution de l’air 5 (par exemple, NO2, PM2,5, PM10, O3), du bruit (associé au développement de maladies cardiovasculaires et des impacts délétères sur le sommeil, le stress et le développement cognitif des enfants 6 , 7 , avec environ 14 % de la population suisse exposée à un bruit routier excessif 10 , 8 ) ou en contribuant à la sédentarité de la population (associée à un éventail de maladies non transmissibles qui incluent diabète de type II, maladies cardiovasculaires et respiratoires et plusieurs cancers 10 ). L’OMS recommande en effet pour les adultes un minimum de 150 minutes d’activité physique modérée hebdomadaire 11 mais un nombre croissant de personnes n’atteignent pas cet objectif. En Suisse, l’OFS estime en 2012 que 28 % de la population est insuffisamment active ou totalement inactive et le manque de temps est couramment mis en avant pour expliquer la difficulté à s’engager dans une activité physique régulière 4 , 12 - 13 . À noter aussi que la congestion des axes routiers, l’occupation de l’espace public par des voies de circulation et les places de stationnement, les effets de coupures liées à ces infrastructures ainsi que les îlots de chaleur qu’elles renforcent dégradent les cadres de vie, réduisent les espaces verts et de rencontre et fragilisent ainsi le capital social 5 .

Report modal vers les mobilités actives : cobénéfices santé-environnement

Bénéfices directs pour les utilisateurs

Les « mobilités actives » sont les modes de déplacement qui utilisent l’énergie humaine comme source d’énergie principale, et se réfèrent principalement à la marche et au vélo (mécanique ou avec assistance électrique). En combinant temps de déplacement et activité physique, par exemple en utilisant le vélo pour se rendre au travail, les mobilités actives peuvent contribuer à insérer de l’activité physique dans la routine quotidienne et ainsi apporter des bénéfices notoires en termes de santé publique. Une enquête auprès des personnes utilisant le vélo pour se rendre à leur lieu de travail en Suisse montre en effet que la quasi-totalité des utilisateurs et des utilisatrices de vélo remarquent que les déplacements permettent de combiner exercice et trajets, et ainsi d’inclure de l’activité physique dans leur routine journalière 14 . Plusieurs études ont démontré qu’une pratique régulière de mobilité active est associée à une réduction des maladies cardiovasculaires, de cancers et de mortalité de toute cause 17 . De nombreuses personnes interrogées mentionnent également les bénéfices psychiques qui découlent de la pratique du vélo : les trajets quotidiens sont perçus comme un moment agréable, offrant un temps de décompression et une expérience sensorielle positive de son environnement 14 , 18 . À noter que les bénéfices et motivations mention-nées (exercices et bénéfices psychiques) concernent également l’utilisation des vélos à assistance électrique 19 , 20 . Les bénéfices pour la santé de plus d’activité physique sont particulièrement prononcés pour les personnes les moins actives. Si les mobilités actives peuvent être perçues comme sûres et efficaces, ces modes peuvent permettre à la population la moins encline à faire de l’activité physique d’insérer plus d’activité dans leur quotidien, et notamment avec l’essor des vélos à assistances électriques 13 .

Une perception qui entrave le développement des mobilités actives est que marcher ou pédaler dans des zones fortement congestionnées augmente l’exposition aux polluants atmosphériques et le risque d’accidents de la route. Pourtant, des études d’évaluation d’impacts sur la santé montrent que les bénéfices résultant de l’augmentation de l’activité physique liée à la pratique de la mobilité active l’emportent largement sur les impacts négatifs d’exposition à la pollution de l’air ou aux risques d’accidents 13 , 21 . Kriit et al. estiment par exemple qu’un investissement de 100 millions d’euros entre 2018 et 2030 dans des infrastructures cyclables à Stockholm résultera annuellement en une réduction des coûts de la santé de 12,5 millions d’euros dû à une augmentation de l’activité physique, 1,2 million d’euros dû une réduction de l’exposition à la pollution pour la population générale, avec des coûts additionnels de 0,3 million dû à l’exposition accrue des nouveaux cyclistes à la pollution de l’air et 2,0 millions liés à un risque plus élevé d’accidents 21 . En considérant une durée de vie de cinquante ans pour ces infrastructures, les auteurs démontrent un bénéfice net pour ces investissements (voir également l’outil HEAT ci-dessous). De plus, l’exposition à la pollution de l’air étant très dépendante de la proximité immédiate du trafic motorisé, s’en éloigner de quelques mètres ou prendre des axes moins fréquentés est une stratégie permettant de réduire drastiquement l’exposition à la pollution de l’air. Plus généralement, des infrastructures adaptées ainsi que l’atteinte d’une masse critique peuvent diminuer significativement les risques d’accidents et l’exposition aux polluants, notamment par une séparation avec le trafic automobile, une meilleure visibilité des cyclistes et des piétons, plus d’attention de la part des automobilistes, et au bout du compte une réduction du nombre d’automobilistes 14 .

Bénéfices indirects pour la communauté

Les questions de mobilité sont étroitement liées à l’aménagement du territoire et l’utilisation de l’espace public par la communauté. Les voitures individuelles ont en effet une forte emprise sur l’espace public. Heran estime par exemple qu’un déplacement en voiture nécessite 50 à 300 fois plus d’espace, dépendant des hypothèses retenues, qu’un déplacement effectué par tout autre mode 5 . Dans les centres urbains où l’espace est limité, privilégier les modes de déplacement moins gourmands en espace permettrait de favoriser les espaces verts et de rencontre, avec des bénéfices en termes de bien-être physique et psychique pour la population 18 , 22 tout en permettant une meilleure régulation de la température et des eaux de pluies.

Finalement, les mobilités actives coûtent significativement moins aux collectivités publiques que d’autres modes de transport. Afin de faciliter la prise en considération des impacts sur la santé des différents modes de transport dans les évaluations budgétaires et les stratégies politiques de mobilités, comme plusieurs auteurs le préconisent 3 , 23 - 24 , l’OMS a développé l’outil HEAT (Health Economic Assessment Tool 25 ) qui permet de modéliser facilement les bénéfices d’un report modal vers la marche ou le vélo.

Évidemment, la distance du déplacement, la topographie ou la condition physique conditionnent la possibilité d’un report modal sur les mobilités actives. Néanmoins, en Suisse, plus de 60 % des déplacements font moins de 5 km tous modes confondus. Cette distance est typiquement considérée comme accessible en vélo mécanique. Et les vélos à assistance électriques (VAE) rendent accessibles des déplacements jusqu’à 10-15 km (80 % des déplacements font moins de 15 km 26 ).

Faciliter ce report modal : comportement individuel ou changements structuraux ?

Il est établi qu’une infrastructure cyclable sûre et continue permet de diversifier la population d’usagers et d’usagères, en termes de genre, de tranche d’âge, de compétence et de motivation. Dans les régions où les infrastructures sont suffisantes (par exemple, Copenhague, Amsterdam), le choix de l’utilisation du vélo est perçu comme un choix logique en termes de facilité, de rapidité ou de finance. Une étude réalisée à Portland distingue quatre groupes dans la population : celles et ceux qui sont confortables de rouler à vélo même en l’absence d’infarstructures cyclables (< 1 %), les personnes motivées et confiantes qui nécéssitent un minimum d’infrastructures (6 %), celles qui seraient intéressées à se deplacer à vélo si les infrastructures étaient suffisamment devellopées pour garantir leur sécurité (60 %) et celles qui n’ont aucune intention de se déplacer à vélo (33 %) 27 . Malgré les limites d’avancer ces chiffres pour d’autres régions, ces estimations démontrent néanmoins le grand réservoir de potentiels cyclistes dans le troisième groupe, si des infrastructures sont mises en place. Reconnaître le potentiel en termes de santé publique de la promotion des mobilités actives devrait encourager des investissements dans des infrastructures appropriées et ainsi en faciliter l’accès au plus grand nombre.

Implication pour la pratique clinique

Les études d’évaluation d’impacts sur la santé démontrent les bénéfices nets de la pratique de la mobilité active pour les usagers et usagères 15 - 16 et dans un même temps les stratégies climatiques des villes soulignent l’importance du vélo pour diminuer les émissions de CO2 liées à la mobilité et organiser les villes plus durablement. Par exemple la ville de Lausanne (Suisse) a annoncé l’objectif d’augmenter la part modale de déplacements à vélo à 15 % pour 2030 (contre 2 % en 2015). Les professionnel•le•s de santé pourraient assister les interventions structurelles des collectivités publiques au travers d’accompagnements individuels lors de consultations ou de visites au cabinet en encourageant la pratique de la mobilité active pour des déplacements quotidiens, avec des bénéfices pour l’environnement et la santé de la population (voir Figure 1) 28 , 29 . À ce jour cependant, aucune étude n’a exploré le type d’information qui devait être transmise aux patient•e•s, les modalités d’interaction avec les patients (par exemple, entretien motivationnel, distribution de flyers, affichage en salle d’attente). Des recommandations pratiques pour les médecins généralistes concernant l’activité physique et l’alimentation ont été élaborées par l’USPSTF en 2017 et préconisent d’aborder ces deux domaines avec les patients sans obésité et sans facteurs de risque connus (niveau de recommandation C) 30 , mais la pratique de la mobilité active n’est pas mentionnée.

Figure 1.

Exemples de cobénéfices pour la santé en l’environnement de la pratique de la mobilité active. Rôle des professionnel•le•s de santé pour influencer : A) les comportements individuels, et B) le cadre structurel. Figure inspirée de la réf. 4