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ISO 690 | Nau, J., Raphaël à Kaboul, Med Hyg, 2001/2369 (Vol.-3), p. 2347–2347. DOI: 10.53738/REVMED.2001.-3.2369.2347 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2001/revue-medicale-suisse-2369/raphael-a-kaboul |
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MLA | Nau, J. Raphaël à Kaboul, Med Hyg, Vol. -3, no. 2369, 2001, pp. 2347–2347. |
APA | Nau, J. (2001), Raphaël à Kaboul, Med Hyg, -3, no. 2369, 2347–2347. https://doi.org/10.53738/REVMED.2001.-3.2369.2347 |
NLM | Nau, J.Raphaël à Kaboul. Med Hyg. 2001; -3 (2369): 2347–2347. |
DOI | https://doi.org/10.53738/REVMED.2001.-3.2369.2347 |
Exporter la citation | Zotero (.ris) EndNote (.enw) |
On ne compte plus, depuis le 11 septembre et le début de la guerre en Afghanistan, le nombre des articles, points de vue, péroraisons et tribunes tentant de nous expliquer ce qui nous arrive, ce que nous vivons et qui nous trouble tant. Rien de tout ce que nous avons pu lire jusqu’ici n’a, pour le dire simplement, éclairé notre lanterne personnelle; à l’exception notable d’un texte du philosophe Jean Baudrillard imprimé dans les colonnes du Monde sous le titre «L’esprit du terrorisme». Texte dérangeant, puissant et malheureusement prophétique. Que nous dit Baudrillard? Comme d’autres, il parle de la profonde rupture que nous vivons. «Tout au longdecettestagnation des années 1990, c’était la «grève des événements» (sel on le mot de l’écrivain argentin Macedonio Fernandez). Eh bien, la grève est terminée. Les événements ont cessé de faire grève. Nous avons même affaire, avec les attentats de New York et du World Trade Center, à l’événement absolu, la “mère” des événements, à l’événement pur qui concentre en lui tous les événements qui n’ont jamais eu lieu» écrit-il. Comme d’autres, Baudrillard nous conseille: «Tout le jeu de l’histoire et de la puissance en est bouleversé, mais aussi les conditions de l’analyse. Il faut prendre son temps. Car tant que les événements stagnaient, il fallait anticiper et aller plus vite qu’eux. Lorsqu’ils accélèrent à ce point, il faut aller plus lentement. Sans pourtant se laisser ensevelir sous le fatras de discours et le nuage de la guerre, et tout en gardant intacte la fulgurance inoubliable des images».
“ Il faudrait transporter ces Raphaël à Kaboul et montrer aux talibans, eux qui ne veulent plus les voir, ces visages de femmes ”
Mais à la différence des autres, il scrute déjà ce qui se dit et s’écrit: «Tous les discours et les commentaires trahissent une gigantesque abréaction à l’événement même et à la fascination qu’il exerce. La condamnation morale, l’union sacrée contre le terrorisme sont à la mesure de la jubilation prodigieuse de voir détruire cette superpuissance mondiale, mieux, de la voir en quelque sorte se détruire elle-même, se suicider en beauté. Car c’est elle qui, de par son insupportable puissance, a fomenté toute cette violence infuse de par le monde, et donc cette imagination terroriste (sans le savoir) qui nous habite tous. Que nous ayons rêvé de cet événement, que tout le monde sans exception en ait rêvé, parce que nul ne peut ne pas rêver de la destruction de n’importe quelle puissance devenue à ce point hégémonique, cela est inacceptable pour la conscience morale occidentale, mais c’est pourtant un fait, et qui se mesure justement à la violence pathétique de tous les discours qui veulent l’effacer. A la limite, c’est eux qui l’ont fait, mais c’est nous qui l’avons voulu».
Sans doute beaucoup ne voudront pas entendre un tel discours. Baudrillard sera lapidé dans les médias au nom de la bonne conscience et du caractère insupportable qui s’attachent à l’identification du bouc émissaire dans une collectivité en crise. Et pourtant ! Que répondre à celui qui nous dit : «C’est très logiquement, et inexorablement, que la montée en puissance de la puissance exacerbe la volonté de la détruire. Et elle est complice de sa propre destruction»? Ou encore: «Quand les deux tours se sont effondrées, on avait l’impression qu’elles répondaient au suicide des avions-suicides par leur propre suicide. On a dit : “Dieu même ne peut se déclarer la guerre”. Eh bien si. L’Occident, en position de Dieu (de toutepuissance divine et de légitimité morale absolue) devient suicidaire et se déclare la guerre à lui-même» ?
Mais alors que faire si nous n’assistons ni à un choc de civilisations ni à une guerre de religions ? Que faire si tout cela dépasse de loin l’Islam et l’Amérique ? Que faire si nous sommes emportés dans un antagonisme fondamental, si nous assistons à la mondialisation triomphante s’entre-dévorant ? «Dans ce sens, on peut bien parler d’une guerre mondiale, non pas la troisième, mais la quatrième et la seule véritablement mondiale, puisqu’elle a pour enjeu la mondialisation elle-même, écrit encore Baudrillard. Les deux premières guerres mondiales répondaient à l’image classique de la guerre. La première a mis fin à la suprématie de l’Europe et de l’ère coloniale. La deuxième a mis fin au nazisme. La troisième, qui a bien eu lieu, sous forme de guerre froide et de dissuasion, a mis fin au communisme. De l’une à l’autre, on est allé chaque fois plus loin vers un ordre mondial unique».
Mais dira-t-on, cet ordre mondial unique c’est aussi, du moins pouvait-on raisonnablement le postuler, celui de l’universalité des droits de l’Homme, le triomphe de la Raison, la poursuite de l’œuvre entreprise sous le siècle des Lumières et, avant que la France ne tranche la gorge de son Roi, celle de l’humanisme de la Renaissance.
La Renaissance, précisément. Elle est pour quelques semaines à Paris où le musée du Palais du Luxembourg propose dans la lumière d’automne la magnificence de quelques portraits de Raphaël, des portraits de femmes pour l’essentiel, madones ou maîtresses. Aucun mot ne peut dire la beauté, l’humanité, la grandeur, la grâce, l’amour de tout cela. La Fornarina, La Dame à la licorne, Marie, nous regardent comme nous les regardons depuis bientôt cinq siècles. Si l’on pouvait encore, on pleurerait devant le diaphane de leur peau, l’angélisme de leur regard, le velouté de leurs mains et de leur poitrine, l’indicible harmonie de ces bustes humains face au temps qui court et à la folie des hommes. Pour savoir si Baudrillard dit définitivement vrai, il faudrait transporter ces Raphaël à Kaboul et montrer aux talibans, eux qui ne veulent plus les voir, ces visages de femmes. Y aurait-il alors un soupçon d’émotion esthétique ou entreprendraient-ils, comme ils le firent pour les statues de Bouddha, leur destruction ?
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