Sommaire du numéro
ISO 690 Kiefer, B., Données : enfumage etenvoûtement, Rev Med Suisse, 2018/599 (Vol.14), p. 656–656. DOI: 10.53738/REVMED.2018.14.599.0656 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2018/revue-medicale-suisse-599/donnees-enfumage-etenvoutement
MLA Kiefer, B. Données : enfumage etenvoûtement, Rev Med Suisse, Vol. 14, no. 599, 2018, pp. 656–656.
APA Kiefer, B. (2018), Données : enfumage etenvoûtement, Rev Med Suisse, 14, no. 599, 656–656. https://doi.org/10.53738/REVMED.2018.14.599.0656
NLM Kiefer, B.Données : enfumage etenvoûtement. Rev Med Suisse. 2018; 14 (599): 656–656.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2018.14.599.0656
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21 mars 2018

Données : enfumage etenvoûtement

DOI: 10.53738/REVMED.2018.14.599.0656

Petite histoire inquiétante, qui finit provisoirement bien. Le Conseil fédéral vient de soumettre au Parlement un projet de loi sur l’analyse génétique humaine. Modèle du genre, cette loi propose une dentelle de mesures destinées à protéger les citoyens des abus et surtout à leur donner la maîtrise de leur génome. Que de l’évident, en réalité. Seulement voilà : notre pays, plus que d’autres, est soumis à des forces qui sont loin d’avoir la défense des personnes comme objectif. Ainsi, chargée d’une première lecture du projet de loi, la commission de la science, de l’éducation et de la culture du National a proposé un amendement permettant aux assurances privées sur la vie ou invalidité d’exiger, à partir d’un certain montant de couverture, l’accès à toutes les analyses génétiques déjà effectuées. Les lobbies étaient à la manœuvre. Heureusement, le 26 février dernier, le National a refusé cet amendement. Un malaise subsiste pourtant. Si la commission l’avait emporté, une faille se serait ouverte, où quantité d’autres intérêts commerciaux se seraient engouffrés. Et les conséquences auraient été rétroactives (votre ADN a-t-il déjà été séquencé ?). Comment ne pas être abasourdi par le fait qu’une pareille atteinte aux droits des individus ait simplement été envisagée ? Comment, surtout, éviter de se demander : n’est-ce que partie remise ? Pouvonsnous compter sur la solidité future de notre Parlement ? Sinon, nous ferions bien de refuser de participer à toute biobanque et aux recherches susceptibles de séquencer le génome. Sans indication médicale impérative, le plus prudent serait de rester dans le vieux monde de l’ignorance génétique. Attitude absurde, évidemment.

Devant pareille indigence de réflexion (et pareille légèreté éthique) d’une commission parlementaire, qui n’est qu’un reflet de l’ensemble du système, on se rend compte de la radicale inadaptation politique à la situation réelle. Mais c’est toute la société, médias compris, qui pense en deçà des enjeux. La bataille technologique n’a plus rien de bisounours, le big data mène les opérations, et ses moyens dépassent la commune mesure : voilà la réalité. Une guerre de contrôle s’organise, le séquençage génétique est déjà un obscur système mondialisé. Des tests sont proposés sur internet pour quelque centaines de francs sous différents prétextes : risques de maladie, généalogie, programme d’alimentation ou de prévention. Dans la plupart des cas, la véritable intention consiste à capter les génomes pour les comparer, les analyser et finalement en faire commerce. Séduction et fausses promesses servent à fournir en données génétiques le système du big data, qui les revend en grande partie sous d’autres formes de séduction et fausses promesses. Rien de cela, bien sûr, n’a le bien commun ou celui des individus comme objectif. Derrière les gentilles façades, il n’y a que marketing, contrôle, prédiction, ciblage, sélections de risques et, plus largement, mainmise sur l’organisation de la société.

De toutes les données personnelles qui doivent être protégées, le génome est la plus sensible. Il s’agit en effet d’une information « non révocable ». Si quelqu’un découvre et exploite l’un de vos mots de passe, vous pouvez le changer. Mais dès lors que votre génome se trouve sur les serveurs de Google (via 23andMe, par exemple), vous ne pouvez plus rien faire. Votre intimité génétique, qui est en partie commune avec celle de votre famille, vous échappe, et cela définitivement, quelles que soient les possibilités futures.

Impossible de nous concevoir, nous les humains, comme faisant simplement face à la technologie. Ses effets ne nous sont pas extérieurs, ils nous changent. La technologie numérique reconfigure l’anthropologie, ouvre des espoirs et interroge d’une nouvelle manière nos limites, donc notre définition. Nous co-évoluons avec elle. En médecine aussi, elle bouleverse les catégories, génère une approche radicalement nouvelle du normal et du pathologique, du soi et du collectif, ouvrant le champ de la santé personnalisée. Ce qu’apportent l’accumulation et l’analyse de myriades de données, ce n’est pas juste une densité et un savoir accrus. C’est un autre rapport au corps, aux comportements, aux besoins, l’ensemble étant enrichi de nouvelles dimensions de malléabilité. La numérisation des données de santé a aussi des vertus d’empowerment : bien utilisée, elle place l’individu au centre du système de santé. Mais elle va plus loin : elle permet la création de « communs numériques ». Autrement dit, une utilisation et un bénéfice pour tous grâce à un partage des données personnelles.

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Ce n’est donc pas l’ancien monde, avec ses anciennes catégories, qui serait éclairé par une lumière nouvelle – celle des données. C’est un nouveau monde, où ce qui est observé change en même temps que l’observation le quantifie et devient capable de l’étudier, le comparer, l’analyser.

Consciente qu’ici se joue le futur, l’Europe avance avec conviction. Le 28 mai, entrera en vigueur un vaste corpus légal, le règlement général sur la protection des données (RGPD), qui imposera de nombreuses règles aux industries les collectant. La Suisse, elle, peaufine un projet de loi sur les données (qui complètera celui concernant les données génétiques). Mais une chose est déjà sûre : dès ce mois de mai, toutes les entreprises qui commercent avec la communauté européenne devront se conformer à sa nouvelle loi. Le projet de la Suisse la copie d’ailleurs en grande partie. Mais en plus timide, bien sûr. Les amendes prévues sont infiniment plus petites. Au lieu de s’exprimer, comme le règlement européen, en pour cent du chiffre d’affaires, elles portent sur quelques milliers de francs. Mettre les personnes au cœur de la loi, c’est bien, mais, voyez-vous, il ne faut pas pénaliser l’industrie. C’est elle, le sacré de notre Parlement.

Le nouveau règlement européen va renforcer le contrôle individuel de la confidentialité. Pour cela, il imposera des règles strictes aux entreprises qui utilisent des cookies. Mais voilà : de nombreux spécialistes affirment que sa démarche est déjà en partie obsolète. Certaines technologies reconnaissent les ID et les ciblent directement. Les GAFA, en particulier, agissent déjà au-delà du paradigme des cookies : la puissance de leur intelligence artificielle permet de s’en passer. En imposant des règles – certes nécessaires – aux entreprises européennes de tailles petite et moyenne, le danger est donc d’ouvrir un boulevard aux GAFA. Or, face à elles, rien n’est pire que la naïveté et les actions au nom des bons sentiments.

A la fin, existe un autre problème, plus paradoxal encore. Les gens comprennent mal les enjeux de la protection de leur vie privée. Leur souci est souvent contraire : beaucoup sont obsédés par l’augmentation de leur visibilité sur internet et par la croissance de leur existence sur les réseaux sociaux. Et ne voient pas la perversion du marché qui leur est proposé : l’abandon de la propriété de leurs données en échange de la jouissance de plateformes gratuites. Les gens savent que leurs données personnelles sont stockées, revendues et servent à exploiter leurs faiblesses, et à attiser leurs travers. Mais les inconvénients leur semblent infiniment moins concrets que les prestations offertes en contrepartie. Sans elles, leur vie leur apparaît désormais inconcevable.

Poursuivre l’aventure humaine de manière ouverte et libre demande de se débarrasser des sortilèges du virtuel, de sortir de l’envoûtement numérique généralisé. Restera alors le progrès.

Auteurs

Bertrand Kiefer

Médecine et Hygiène Chemin de la Gravière 16
1225 Chêne-Bourg
bertrand.kiefer@medhyg.ch

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